Steen Halbro
Je travaille par thèmes, un thème que je m'impose ou qui naît d’une rencontre avec un support, comme le papier pour l'apprentissage de l'écriture chinoise ou pour la calligraphie. Le support m'inspire et m'invite à l'explorer. Sur le papier je peins des cruches, je trace des traits, à la manière de l'écriture chinoise, sans cesse, comme une obsession. Quant à la fin du travail je les aligne, je les regarde, elles me regardent aussi, un dialogue s'installe, séduction ? Association ?
Récemment pour une exposition à Hangzhou en Chine dont le thème était "figures of the city", j'ai composé de grands tableaux à partir d’une série de petits, plusieurs grands tableaux construits chacun avec neuf petits tableaux, des cruches, à nouveau. Ensemble ils donnent une illusion d'architecture.
Avant les cruches il y eu la série des chiens, peints sur divers supports voués à la destruction : tous en colère, ils grincent des dents (autoportrait ?)
Il y a aussi des lieux qui m’inspirent ; comme les montagnes des plantations de thé près de l'école des beaux-arts de Hangzhou. Je ne les illustre pas ; je m'imprègne de sensations et d’odeurs, à la tombée de la nuit, les peurs et les mystères ; je m’imprègne des formes et des rythmes que ces plantations donnent à voir.
Je vous parle de rencontres avec le support ; il y a le papier journal, papier pas cher, voir gratuit, fragile et ingrat que l'on jette, brûle, qui emballe des légumes ou du poisson ; j'aime les recycler ; sur le journal est écrit une histoire, je l'efface avec mon histoire à moi, colorée ; le journal ainsi recyclé, « anobli », je l'accroche au mur comme un papillon précieux.
Tout dernièrement j'ai commencé une série de paysages vus du train : vues peintes sur mes billets usagés de la SNCF, avec l'idée de faire un grand tableau composé de plusieurs petits, pour une sensation de vitesse et de vertige. Vertige, mot que j'aime beaucoup employer ; voilà, je peins le VERTIGE.
J'allais oublier de parler de ma série de masques : quelqu’un m'a demandé de participer à une exposition dont le thème était le papier. Très enthousiaste j'ai dit oui ! Mais l'idée d'exposer une peinture et encore une peinture, finissait par me déplaire. J'ai donc décidé de faire différemment. Mais établir une interaction, comme c'était à la mode à l’époque, me dépassait techniquement et intellectuellement. Alors j'ai opté pour la peinture qui se regarde : « c’est toujours nous qui regardons la peinture, invitons la peinture à se regarder elle-même ».
Démarche artisanale, inspirée de mon environnement : je peins des fleurs, des motifs, comme un exercice quotidien, je fais mes gammes, je fais mes essais d'écriture chinoise avec des pinceaux de calligraphie, je transcris des phrases en chinois à partir de mon livre pour apprendre le chinois, des petits messages d'amour, d'espoir ou de désespoir, des poèmes. Quand ma page de journal est remplie je la tourne dans le sens des aiguilles d'une montre, un quart de tour, un demi-tour et ainsi de suite, je continue d'écrire par-dessus ; je couvre parfois avec de l'écriture occidentale, je remplis les vides, le tout devient motif.
"Jeux de miroir", il faudrait que tout cela se parle, communique et se regarde. La feuille qui sera la face qui regarde, le masque, sera peinte des deux côtés.
Commence alors le processus de destruction-reconstruction. Pour un masque il me faut une tête. Je déchire dans un rectangle d'écriture un ovale de tête. Me voilà avec un ovale et un rectangle avec un trou ovale. Je plaque le rectangle avec le trou sur la "peinture" en face ; je me trouve avec un ovale flottant et un ovale "encadré ». Pour que l'ovale flottant devienne tête il me faut arracher les yeux et la bouche que je place tout de suite sur la peinture en face, l'ovale encadrée, qui maintenant se trouve avec des yeux et une bouche presque souriante. Tandis que le masque flottant regarde sans yeux et crie sans bouche. Je me trouve ainsi avec une série de masques et leur miroir.